Liberté, Egalité… Sécurité !
France, « Conscience des Peuples » selon Goethe, tu as vraiment disparu. Exemple universel de valeurs humanistes, tu n’es plus que l’ombre de ta gloire passée.
France, toi qui inventas le caractère universel des Droits de l’Homme, l’Etat moderne, toi qui fus le creuset des Arts et de la Culture, tu n’es plus de ce monde. Toi qui as pensé la libération de la femme et des moeurs dans l’après-guerre, avec le double tremblement de terre provoqué par la parution du Deuxième sexe en 1949 et de l’irruption de Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme en 1956, cassant les codes socioculturels de la féminité…
Toi défenseure du droit des peuples à la souveraineté …Ta maxime universellement saluée urbi et orbi, Liberté Egalité Fraternité, est devenue une coquille vide. La nature humaine est telle qu’elle finit par submerger tout idéal de vie en société….Hobbes et Rousseau n’avaient pas tort. Les derniers avatars du transhumanisme eugénique le prouvent encore une fois. Finalement, notre société postmoderne arrogante et perdue dans l’illusion du tout-technologique que dénonçait déjà Simone Weil comme étant porteur du mal, est en train de donner raison à la fois à Aldous Huxley et à George Orwell. Nous sommes bel et bien menacés à la fois par le totalitarisme productiviste où le maître mot est la rentabilité qui écrase l’humain en nous, et par le totalitarisme à visage faussement humain qui anesthésie tout sens critique et interdit même de penser ou d’être intelligent.
« L’individu se croit libre car il ignore ce qui détermine sa condition » nous disait Spinoza.
La France n’est pas le seul pays à avoir pris le mauvais chemin, mais plus que les autres, elle aime décider de ce qui est bon pour les citoyens à leur place. Nos législateurs voudraient bien même se mêler de ce qui se passe dans la chambre à coucher. Big Brother tu es là…c’est pour notre bien. La démocratie française, administrant et sur-administrant tout dans tous les domaines, est devenue bien immature. Signes de son immaturité ? Le Parlement même, qui n’est qu’une chambre d’enregistrement du pouvoir exécutif, malgré quelques progrès.
Ou encore le scandale démocratique que représente la non-comptabilisation des votes blancs, alors que ce geste est le signe d’une conscience politique véritable et que les votes blancs sont de plus en plus nombreux.
Ou encore le suffrage universel à deux tours qui transforme une mauvaise élection en plébiscite, et qui refuse à des partis tels que le FN – et ses millions d’électeurs – une représentativité à l’Assemblée par exemple. Quand on veut combattre un ennemi, il faut le faire sur le terrain des idées. Donner au FN le droit de s’exprimer et de travailler à l’Assemblée serait la meilleure manière de démystifier ses idées nauséabondes…qui paraissent du coup encore très attractives à un nombre sans cesse croissant de nos compatriotes puisqu’elles ne sont même pas comprises faute d’être débattues dans la bonne enceinte. L’Allemagne est depuis peu confrontée au même problème, et l’extrême-droite vient d’entrer en masse au Bundestag. Elle va devoir expliquer ce qu’elle dit, écouter les arguments adverses etc… et non plus être dans l’invective et l’outrance ni subir la même chose, chacun pourra donc voir ce qu’elle est. Les armes de la démocratie sont ce qu’il y a de mieux pour combattre l’extrême.
Je peux encore ajouter le scandale de ces tribunaux d’exception pour les affaires politico-financières, véritable réminiscence d’Ancien Régime…etc. Nation suradministrée ? Mais oui… Il y a même des politiques qui pensent sincèrement, par exemple, que pour diminuer le nombre de tués sur la route il suffirait de faire une loi qui … interdirait les accidents de la route ! Mais oui, ben voyons. Rappelez-vous, dès qu’un accident tragique survient, comme une avalanche provoquée par le passage de skieurs hors piste sur nos belles montagnes, ou une noyade dans un étang non surveillé, nos législateurs réfléchissent à l’interdiction de ladite activité.
France, pays de la Loi…disaient les chinois.
Non, les français sont des citoyens responsables, et les considérer autrement serait condamner le pays à l’infantilisation et au déclin. « Un nouveau-né qui vient de naître est déjà assez vieux pour mourir », cette phrase d’Heidegger signifie qu’il faut savoir être adulte…vivre pleinement, créer, décider, prendre des risques. Sinon on ne fait que passer par accident dans la vie. Rappelez-vous les manifestations de Nuit Debout place de la République. Un jeune manifestant éméché avait tenté l’escalade de la monumentale statue…. Bien sûr il a glissé et la chute mortelle s’ensuivit, inéluctablement. Un de nos parlementaires a alors très sérieusement parlé de – je cite – « la sécurisation des monument publics » ! Vous rendez vous compte ? Sécuriser la statue de la Place de la République, comme s’il était simple de grimper dessus. Comme s’il n’était pas évident que son escalade fût dangereuse. C’est cela infantiliser les gens, voire plus… c’est vraiment se foutre de notre gueule. Pourquoi ne pas ériger des palissades le long des dizaines de milliers de kms de trottoirs que comptent les 36000 communes de France ? Après tout, les gens ne traversent pas toujours dans les clous… il faudrait « sééééécuriser » les traversées de routes !
On en arrive au stade ultime de la sécurité des citoyens pensée par nos chers représentants, le plan Vigipirate et son point culminant: l’état d’urgence. Il limite nos faits et gestes, notre liberté dans des situations précises comme les rassemblements ou bien la participation à des évènements artistiques…mais son efficacité est limitée, il n’arrêtera bien sûr aucun terroriste déterminé. Et pourtant… le nouveau gouvernement d’Emmanuel Macron songe à sanctuariser certaines dispositions de cet état d’urgence. Quelle tristesse.
Deux grands Américains ont écrit, à un siècle d’intervalle, une belle ode à la Liberté. Benjamin Franklin, qui aimait tant la France qu’il en fit un peu sa patrie, nous disait : « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’un ni l’autre, et finira par perdre les deux ». Et Walt Whitman, le poète qui s’identifiait à son pays dans son « To the States » haranguait ses compatriotes d’un vibrant « Résistez un maximum ! Obéissez un minimum ! Si d’aventure vous veniez à être des citoyens totalement obéissants, alors vous serez aussi totalement asservis » .
Et pourtant les USA ne sont pas dans une situation plus enviable que la France, ou à peine. Le pouvoir n’aime pas l’initiative individuelle quand elle conteste sa toute-puissance. Il n’aime pas ceux qui sont capables de penser autrement, d’imaginer des formes de gestion des besoins, de vie sociale et solidaire qui s’affranchirait de son concours. La meilleure façon d’éradiquer le terrorisme et toute forme de violence serait certainement d’éduquer le peuple : « prenez une nation tyrannique, formez-y des géomètres et vous verrez quelque temps plus tard le peuple s’affranchir de son joug » écrivait d’Alembert dans son encyclopédie.
Et j’ajouterai qu’il se débarrasserait ainsi certainement de toute idéologie mortifère pour construire des ponts plutôt que des tombeaux.
Mais le pouvoir veut-il vraiment éradiquer la violence ? Telle est la question.
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