Jay Gottlieb: un Américain à Paris, un pont sur l’Atlantique, une émotion incarnée et unique!
Né à New York, Jay Gottlieb a fait ses études à la High School of Performing Arts, à la Juilliard School et à l’Université de Harvard dont il est diplômé « Master of Arts » et où il a aussi enseigné. Il a été l’élève de Nadia Boulanger.
Il a travaillé auprès de pianistes comme Robert Casadesus, Yvonne Loriod, Aloys Kontarsky, et de compositeurs comme Lukas Foss, Olivier Messiaen, Maurice Ohana, Georges Aperghis, Luciano Berio, Pierre Boulez, Sylvano Bussotti, John Cage, George Crumb, György Ligeti, Giacinto Scelsi. Il donne régulièrement des conférences, stages, et Masterclasses sur divers aspects de la musique des XXe et XXIème siècles, notamment au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il siège également au jury dans le cadre de concours de piano, à la Faculté de Musique de l’Université d’Indiana à Bloomington aux USA, à la Juilliard School de New York ou encore au Conservatoire Américain de Fontainebleau créé par Nadia Boulanger, et à Pianale en Allemagne.
Jay Gottlieb est aussi activement engagé dans la création d’oeuvres, et a inspiré nombre de compositeurs qui ont écrit à son intention. Par exemple, les « Etudes » de Magnus Lindberg, « Gemelli » de Sylvano Bussotti, « Voyants » de Barbara Kolb, « Jay » pour piano et sept cuivres de Franco Donatoni, créé au Centre Georges Pompidou, le « Concerto-Fantaisie » de Betsy Jolas, « Temps posés, temps mêlés » de Benoît Delbecq, « Jazz Connotation » de Bruno Mantovani etc…
Le gouvernement américain a nommé Jay Gottlieb pianiste officiel afin de représenter son pays dans le monde entier. Jay Gottlieb est l’un des meilleurs spécialistes de la musique américaine contemporaine.
<Stéphane Bellocine> Quels sont les personnages, parmi ceux que tu as côtoyés ou avec lesquels tu as travaillés, que tu admires le plus ?
<Jay Gottlieb> Il y en a beaucoup bien entendu, et pour diverses raisons. Je peux citer en vrac Nadia Boulanger, bien sûr, qui a été un Maître. Leonard Bernstein avec qui j’ai beaucoup dialogué et dont on peut dire qu’il incarne la musique même et qui m’a enrichi grâce à son don de communication magistral. Giacinto Scelsi était un véritable gourou, un maître à penser. Pour lui, Il fallait être capable d’entendre battre le coeur de chaque son, c’est ce qu’il disait. Je citerai aussi Franco Donatoni et Luciano Berio. Le premier a écrit une pièce pour moi, intitulé « Jay » pour piano et 7 cuivres, que j’ai donc créé en 1994. Donatoni y développe une musique d’une rare finesse, ce qui n’exclut point parfois une vitesse vertigineuse. Le second arrivait à nous transporter avec une musique qui est une vraie apothéose de beauté. Boulez l’admirait beaucoup, lui et aussi György Ligeti que j’aime beaucoup. Tous deux sont morts trop tôt. Je ne peux pas oublier non plus John Cage, pour qui les sons représentent des bulles à la surface du silence, ni George Crumb pour qui j’ai souvent joué et avec qui j’ai beaucoup collaboré à des tables rondes. Il disait « la musique est un système de proportion au service d’une pulsion spirituelle », c’est-à-dire que la musique prend pour lui la forme d’un rituel transcendantalisme. Pour finir, il y a aussi Maurice Ohana, qui a écrit lui aussi une musique rituelle, ni cérébrale ni psychologique : une musique ancestrale, qui dépasse les époques. Il me considérait comme son fils, il a écrit pour moi et m’a un peu lancé à Paris. Même Nadia Boulanger aimait sa musique, elle qui était si sévère.
<SB> Dans une de tes Masterclasses à Fontainebleau, me semble t-il, tu disais qu’un compositeur est grand lorsqu’il surprend… c’est-à-dire quand il réussit à éviter les attentes, ou les formules galvaudées.
<JG> Oui, c’est vrai. Et c’est le cas de tous ceux que j’ai cités justement.
<SB> Parmi les pianistes de la nouvelle génération, y en a t-il que tu apprécies ? Est-ce que quelqu’un de médiatisé comme Lang Lang est intéressant ? Certains le trouvent rafraîchissant parce qu’il dépoussiérerait le grand répertoire classique. D’autres le trouvent au contraire irrévérencieux avec les incursions dont il était coutumier dans le hip hop et le rock.
<JG> Lang Lang n’est déjà plus si jeune. Il était vraiment plutôt superficiel quand il a démarré, mais depuis il a travaillé avec Christoph Eschenbach et Daniel Barenboïm, et justement, il s’est nettement amélioré. Seong-Jin Cho lui, qui n’a que 22 ans, et qui a remporté le Premier Prix au dernier Concours Chopin à Varsovie, est vraiment très prometteur. Son jeu est caractérisé par un souci polyphonique exemplaire, les voix intérieures sont magnifiquement maniées, il y a le parfait dosage entre finesse et puissance, une large palette de couleurs sonores, et un sens palpable de la structure des oeuvres.
<SB> Une question sur le rôle de l’interprète. Jouer une pièce de musique, est-ce que cela n’est pas aussi la recréer ? Et recréer cela voudrait dire quoi ? Personnellement, ce que j’espère vivre, dans un concert, en allant écouter un grand interprète, c’est une émotion particulière.
<JG> La musique n’est pas forcément analytique. Cela se sent aussi avec les tripes. La beauté sonore ne rime pas toujours uniquement et exclusivement avec le respect du texte. Il faut savoir parfois ajouter ou peser différents paradigmes, comme la polyphonie des sons mêlés, les couleurs plus ou moins vives (articulations, touchers…), les voix souterraines à faire remonter, les structures cachées, l’infinie subtilité des agogiques, etc…même si tout cela s’avère non académique.
<SB> Où en est la création contemporaine ?
<JG> : Elle est énorme, très vivace. Le festival Présences de Radio France est sous les feux de l’actualité mondiale. Matthias Pintscher est, pour ne citer que lui, prolifique et il interprète aussi nombre de pièces de qualité avec l’Ensemble InterContemporain. Je ne m’inquiète pas.
<SB> Quels sont tes projets? Des concerts bien sûr comme toujours ? Tu t’es produit il y a peu au théâtre de l’Atelier avec la merveilleuse Ingrid Caven, dans un spectacle rafraîchissant qui semblait être une improvisation de chaque instant. Ou au Théâtre des Bouffes du Nord avec Yumi Nara. Est-ce que tu vas reproduire ce schéma, en accompagnateur d’amis artistes ?
<JG> Je serai bientôt à Madrid avec Ingrid Caven, oui. Et puis à Moscou pour un récital solo. Je vais aussi donner des concerts à deux pianos. Je serai à de nombreux festivals comme chaque année. Juge au Concours International de Piano à Berlin. Bref, toujours bien occupé.
<SB> Merci Jay pour ce moment délicieux en musiques.
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